Assurabilité des risques d'inondations en Belgique
Le secteur de l'assurance appelle au changement
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À première vue, la législation belge semble préparée au risque (croissant) d'inondations dans le pays. Depuis 2006, l'indemnisation des dommages causés par les inondations est en effet une composante obligatoire de l'assurance incendie. De plus, les résidents des zones à risque peuvent faire appel au Bureau de Tarification Catastrophes naturelles pour assurer leur domicile à un tarif raisonnable, ce qui n’est pas toujours possible2. Étant donné que l'assurance incendie est la plus répandue en Belgique3 (notamment à cause de son obligation pour les locataires en Wallonie et en Flandre), la couverture en cas d'inondation semble dès lors garantie. À la suite des inondations de 2021, il est cependant apparu clairement que des changements rapides étaient nécessaires, le système actuel s'étant révélé être insuffisant face à des dommages de cette ampleur. L'union professionnelle des assureurs, Assuralia, a alors appelé à une réforme du système actuel pour garantir une couverture durable des dommages liés au changement climatique1.
Cet article présente tout d'abord une analyse de l'ampleur des dommages potentiels dus aux inondations fluviales en Belgique. Il s'agit plus spécifiquement des dommages aux biens immobiliers des particuliers, qui peuvent donc être couverts par une assurance incendie via la couverture des risques simples. L'analyse réalisée montre ensuite l'impact potentiel de différents scénarios de réchauffement climatique sur le risque d’inondations en Belgique. Elle donne également un aperçu de la répartition du risque par région, chaque région ayant son propre fonds de calamité.
Finalement, nous examinerons en conclusion de cet article les limites qui sont apparues dans le système actuel après les inondations de 2021 et l'impact que différents scénarios d’évolution du changement climatique pourraient avoir sur celui-ci. Nous clôturerons enfin par une présentation du système préconisé par le secteur de l'assurance.
Bien que cet article se concentre sur l'impact des risques d'inondation pour les assureurs, les informations tirées de ces analyses peuvent également être utilisées par les banques, les autorités locales et autres organisations directement ou indirectement exposées au risque d'inondation en Belgique.
Risques d'inondation basés sur des portefeuilles modèles
Dans l'analyse ci-dessous, nous utilisons l'analyse du rapport Milliman précédemment publié concernant le risque d'inondation en Europe4. Nous décrivons tout d’abord brièvement la méthodologie sous-jacente utilisée pour l’estimation du risque, puis nous analyserons la répartition géographique du risques d’inondations en Belgique. Nous combinerons enfin ces informations dans une analyse des pertes pour 1000€ assuré pour un portefeuille fictif, pour l’assurance incendie pour particuliers.
Méthodologie
Pour cette étude, nous utilisons des données générées dans le cadre du projet Inter-Sectoral Impact Model Intercomparison Project (ISIMIP)5, qui a pour but d’estimer les impacts du réchauffement climatique sur différents secteurs d’activité économique. Ces données comprennent trois scénarios RCP (Representative Concentration Pathways) du cinquième rapport du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC)6, qui représentent différents niveaux d'ambition en matière de réduction (ou non) de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. Ces scénarios sont ensuite utilisés par différents modèles climatiques globaux (« Global Climate Models » ou GCM) qui traduisent les émissions de CO2 en variables climatiques telles que les précipitations et la fonte des glaces. Les résultats de ces modèles sont enfin traduits en volumes d’écoulement par cours d’eau et en risque d’inondations, en fonction des débits fluviaux estimés par des modèles hydrologiques globaux (Global Hydrological Models ou GHM). En parallèle, hauteurs d’eau maximales annuelles des inondations ont été estimées7 dans un précédent rapport au niveau européen à une résolution d'environ 13 km2 et ont été redimensionnées à une résolution plus granulaire de 100 m2dans le cadre de cette étude. En superposant à ces cartes un portefeuille fictif d'adresses assurées, nous obtenons une représentation du risque pour un assureur type. En utilisant des hypothèses de coûts de reconstruction moyen par assuré et en utilisant des « fonctions de dommages par profondeur » (aussi appelées ‘depth-damage function’ ou DDF, des fonctions décrivant les dommages subis en fonction de la hauteur de l’inondation), nous pouvons également estimer en euros, l’impact des dégâts des inondations en fonction de la hauteur d’eau. Étant donné que les coûts de reconstruction en Belgique ne sont pas directement disponibles, ils ont été estimés à partir des coûts de construction par mètre carré en France tirés du rapport Milliman précédemment cité. En 2023, ces coûts s'élevaient à 1 855 € par mètre carré8. Par ailleurs, l’analyse effectuée utilise la même « fonction de dommages par hauteur d’eau » que dans le rapport, à savoir la courbe JRC pour les bâtiments résidentiels en Europe.
Il est à noter que les submersions marines ou résultant directement de fortes pluies locales (aussi appelées « crues éclair » ou inondations pluviales) ne sont pas prises en compte dans le cadre de cette étude : seules les inondations par débordement de cours d’eau le sont. Bien que ce dernier type d’inondation soit attendu comme étant le risque dominant sur l'horizon temporel de l'étude (2024-2060) en Belgique, les sources de risque précédemment citées sont également pertinentes pour une évaluation complète du risque d'inondation. En outre, nous utilisons dans cet article un seul GCM et nous prenons la moyenne des résultats obtenus sur les GHM.
Pour plus de détails sur la méthodologie, nous référons le lecteur au rapport Milliman «Flood risk modelling in Europe».
Sur la carte
Les principales rivières en Belgique sont représentées sur la carte ci-dessous (figure 1) : les voies navigables sont réparties sur de vastes régions du pays, et que l’inondation d'une rivière peut avoir un impact important sur chacune des trois régions individuellement.
FIGURE 1 PRINCIPAUX COURS D’EAU EN BELGIQUE
La hauteur d’eau agrégée des inondations sur les années 2024-2060 est représentée sur les deux cartes ci-dessous (figure 2) selon deux scénarios différents : un scénario de faible concentration de gaz à effet de serre (RCP 2.6) et un scénario de forte concentration (RCP 8.5). Ces cartes supposent un niveau de protection contre les inondations en ligne avec des inondations se produisant une fois tous les 100 ans, compte tenu des conditions climatiques actuelles.
FIGURE 2 PROFONDEURS D'INONDATION 2024-2060 POUR DIFFÉRENTES VALEURS RCP
Sur ces cartes, il est possible de voir que le risque d'inondations est le plus élevé dans l'ouest et le centre du pays, ce qui signifie que de vastes régions de la Flandre sont particulièrement exposées à un risque accru d’inondations. La matérialité du risque n'augmente pour la Wallonie que dans les scénarios de concentration les plus élevés de gaz à effet de serre. Cette observation semble entrer en contradiction avec les événements de 2021, la Wallonie ayant été à ce moment-là de loin la région la plus touchée par les inondations. Ceci s’explique cependant par le fait que les inondations de 2021 sont considérées comme exceptionnelles d’un point de vue hydrologique. Le rapport d'évaluation des inondations de 2021, publié par la Commission de coordination de la Politique intégrée de l'Eau, a en effet montré que les fortes précipitations à l'origine des inondations avaient une période de retour de plus de 30 ans dans de nombreux endroits et même de plus de 100 ans dans certaines régions (par exemple dans les Ardennes9). Étant donné que l’analyse effectuée dans cet article ne couvre que la période temporelle 2024-2060, il est probable qu'un tel événement ne se reproduise pas durant cette période.
Impact sur un portefeuille d'assurance type
Les hauteurs d’eau représentées ci-dessus (figure 2) indiquent que les risques peuvent varier considérablement d'une région à l'autre. La carte ci-dessous (figure 3) représente un portefeuille fictif composé de 10 000 adresses assurées réparties à travers la Belgique. Ces 10 000 adresses sont un échantillon aléatoire des bâtiments résidentiels figurant dans le plan cadastral, disponible via le Service Public Fédéral Finances10, ce qui explique la concentration plus importante d’habitations assurées dans les zones densément peuplées..
FIGURE 3 PORTEFEUILLE FICTIF COMPOSÉ DE 10 000 HABITATIONS ASSURÉES
En supposant que les dommages causés par les inondations soient à 100% couverts par une assurance incendie, nous pouvons nous concentrer sur les pertes par 1000€ assurés du portefeuille. Les pertes totales calculées pour la période 2024-2060 sont converties en une perte annuelle moyenne et une perte annuelle maximale, puis comparées à la valeur totale assurée du portefeuille. La perte annuelle moyenne est la perte moyenne calculée sur toutes les années et sur tous les GHM utilisés. Pour déterminer la perte annuelle maximale, nous calculons la moyenne de tous les GHM et prenons la perte maximale observée sur la période temporelle analysée. Les résultats sont présentés dans la figure ci-dessous (figure 4).
FIGURE 4 PERTE PAR SCÉNARIO RCP PAR 1 000 € DE MONTANT ASSURÉ, POUR DIFFÉRENTS NIVEAUX DE PROTECTION
PERTE ANNUELLE MOYENNE | PERTE ANNUELLE MAXIMALE | |||
---|---|---|---|---|
SCÉNARIO RCP | PROTECTION 1-EN-100 ANS | PROTECTION SELON LES NORMES FLOPROS |
PROTECTION 1-EN-100 ANS | PROTECTION SELON LES NORMES FLOPROS |
RCP 2.6 | 12,7 | 11,1 | 60,4 | 45,5 |
RCP 6.0 | 16,6 | 13,3 | 62,9 | 48,4 |
RCP 8.5 | 29,0 | 21,7 | 143,7 | 102,2 |
Risque d'inondation en pratique
Dans le cas où les inondations sont si extrêmes qu'elles sont reconnues par le gouvernement comme une calamité générale publique, comme ce fut le cas lors des inondations de 2021, les assurés peuvent faire appel aux Fonds des Calamités11. Les compétences relatives aux fonds de calamité ont été régionalisées depuis 2014 ; les régions sont dès lors directement responsables de la direction des investissements de ces fonds et de leur gestion. Les différents fonds des calamités couvrent dès lors tous les dommages non couverts par l'assurance incendie et tous les dommages qui dépassent le plafond légal d'intervention des assureurs. Le fonds mis en place par la région wallonne s’est cependant révélé insuffisant à la suite des inondations de 2021, le fonds n'ayant pas pu couvrir les dommages au-delà du plafond légal pour les assureurs (également appelé limite d'intervention). Cette situation a poussé le gouvernement wallon à élaborer une exception à la loi en place : les assureurs ont doublé leur limite d'intervention, qui représentait alors 45 % de toutes les primes perçues l'année précédente (environ 400 millions d'euros), et ont également prêté plus d'un milliard d'euros à taux zéro à la région wallonne pour indemniser toutes les victimes. En réponse à cette inadéquation, le gouvernement fédéral a pris la décision d’augmenter la limite d'intervention des assureurs à 188 % des primes perçues durant l'année écoulée pour toute calamité publique future. Rapportée aux primes perçues pendant l’année 2020, cette nouvelle limite d’intervention aurait représenté un montant quatre fois plus élevé : 1,6 milliard d'euros12.
Malgré les limites de ce système, son existence rend la répartition géographique du portefeuille d'un assureur en cas de calamité générale publique moins importante, étant donné la couverture du fonds des calamité des dégâts au-delà de la limite d’intervention. L'augmentation de celle-ci à la suite des inondations de 202113 permet dès lors d’améliorer la pérennité du système. En analysant l’impact de cette mesure sur le portefeuille fictif constitué, il apparait toutefois que le succès de celle-ci dépend du scénario RCP analysé. Dans le scénario RCP le plus optimiste (voir figure 4), une prime de base moyenne de 6 € par 1 000 € de montant assuré est suffisante pour couvrir les dégâts jusqu’à la limite d'intervention de 188 %, à condition que les digues offrent une protection conforme aux normes FLOPROS14. Cette prime s’avère cependant insuffisante dans les scénarios RCP plus pessimistes ; dans le scénario RCP 8.5 par exemple, cette prime ne suffirait qu'à couvrir la moitié des dommages. Nous nous basons ici également uniquement sur la perte annuelle moyenne comme indiqué dans les deux colonnes de gauche de la figure 4 ; lorsque nous examinons les pertes annuelles maximales dans le portefeuille fictif (deux colonnes de droite de la figure 4), des primes plus de quatre fois plus élevées serait nécessaire pour couvrir les dégâts.
Malgré le rehaussement de la limite d'intervention pour les assureurs, les résultats de cette étude montrent que la pérennité des fonds de calamité va dépendre de l’évolution du niveau de concentration de gaz à effet de serre dans notre atmosphère. Les conséquences du changement climatique, et donc la probabilité croissante d'une répétition d’événements de la même ampleur que ceux de 2021, sont en effet une tendance observée par le secteur de l'assurance ces dernières années15. Pour éviter que les primes n’augmentent de manière trop significative pour les assurés ou que les assureurs ne soient confrontés à des tarifs de réassurance inabordables, Assuralia appelle à une collaboration public-privé pour faire face aux conséquences du changement climatique16. Cela implique non seulement une meilleure collaboration entre les assureurs et les régions, mais aussi une meilleure intervention aux niveaux fédéral et européen. Compte tenu des résultats de la figure 4 et des risques présentés dans la figure 1, une meilleure collaboration au niveau fédéral semble nécessaire pour maintenir l'assurabilité des risques d'inondations à l’avenir ; le risque futur d’inondations se concentre principalement en Flandre, et les inondations de 2021 montrent qu'une seule catastrophe peut suffire à impacter lourdement une région, rendant plus difficile l'absorption d'un tel choc. Pour garantir que les risques d'inondations restent assurables à l'avenir, il est alors essentiel de renforcer le cadre juridique. L'intervention du gouvernement fédéral peut jouer un rôle crucial en allégeant la pression sur les régions et les assureurs.
1 https://press.assuralia.be/assuralia-appelle-le-futur-gouvernement-a-trouver-une-solution-durable-contre-les-risques-de-catastrophe-naturelle.
2 http://www.bt-tb.be/index-module-orki-page-view-id-461.html.
3 https://economie.fgov.be/fr/themes/services-financiers/assurances/assurance-incendie-et.
4 https://www.milliman.com/en/insight/flood-risk-modelling-in-europe.
5 Dans le contexte de ce projet, un cadre a été développé pour estimer les effets du changement climatique à travers différents secteurs économiques. Voir https://www.isimip.org.
6 https://www.ipcc.ch/report/ar5/syr/.
7 https://zenodo.org/records/1241051.
8 https://rt-re-batiment.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/_20240101_fa_calcul_de_la_valeur_d_un_batiment_v1_13.pdf.
9 https://www.integraalwaterbeleid.be/nl/nieuws/downloads-van-nieuwsberichten/ciw-evaluatierapport-overstromingen-2021.pdf. (NL)
10 https://finances.belgium.be/fr/experts-partenaires/donnees-ouvertes-patrimoine/jeux-donnees/plan-cadastral.
11 https://www.belgium.be/fr/logement/problemes_de_logement/catastrophes_naturelles/fonds_de_calamites.
12 https://press.assuralia.be/assuralia-appelle-le-futur-gouvernement-a-trouver-une-solution-durable-contre-les-risques-de-catastrophe-naturelle.
13 https://press.assuralia.be/principaux-chiffres-du-secteur-des-assurances--tendances-et-inondations-juillet-2021.
14 188% de 6 € revient à 11,3 € par 1.000 € de montant assuré. Une prime de base de 6 € par 1.000 € de montant assuré mène dès lors à une limite d’intervention pour l’assureur suffisante pour couvrir une perte annuelle moyenne de 11,1€ par 1.000 € de montant assuré.
15 https://press.assuralia.be/le-secteur-de-lassurance-entend-combler-les-lacunes-pour-une-meilleure-protection-contre-les-risques.
16 https://press.assuralia.be/assuralia-appelle-le-futur-gouvernement-a-trouver-une-solution-durable-contre-les-risques-de-catastrophe-naturelle.
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Assurabilité des risques d'inondations en Belgique
Comment la collaboration entre le gouvernement fédéral et le secteur des assurances peut jouer un rôle crucial pour maintenir l'assurabilité des risques d'inondation en période de changement climatique.